7° Le Vent se lève.
Ceci n’est pas un Ken Loach.
En 2014, le géant des géants annonçait sa retraite. Père de tant de mondes enchanteurs, Hayao Miyazaki partait comme un prince en nous laissant une dernière pépite.
Fanatique absolu de son cinéma (« Le Voyage de Chihiro » est mon film préféré, tous genres confondus), c’est donc avec un pincement au cœur certain que j’ai découvert « le Vent se lève ». J’avais aussi un peu d’appréhension : et si ce dernier film laissait un gout amer de déception, en étant pas à la hauteur ? Après tout, depuis « le Voyage de Chihiro », justement, Mister Miyazaki avait enchainé « le Château ambulant » dont la fin laissait sur la faim, et le tout mimi « Ponyo sur la Falaise » ; deux films qui, malgré leurs grandes qualités, n’étaient pas à la hauteur d’un point final cinématographique. Je suis donc entré dans la salle avec un sentiment étrange, et j’en suis ressorti encore plus méditatif. Voir « Le Vent se lève » comme une conclusion est à la fois vain et inévitable.
Premier constat : ce film est à part dans le monde de Miyazaki. De par son calme et son épure, tout d’abord, qu’il ne semble partager qu’avec « Porco Rosso ». Pas de défilés de monstres, pas de créatures fantasmagoriques. Mais attention aux apparences : l’imaginaire n’est pas absent pour autant. Les rêves du héros en sont la preuve évidente, et quand Hayao Miyazaki représente un séisme, il ressemble à la pire des créatures.
Autre point à part : son scénario, pour la première fois ancrée dans l’Histoire réelle. Un scénario centré sur un homme aussi, chose peu courante chez Miyazaki (qui n’en oublie pas pour autant son gout pour les personnages féminins). Et quel homme d’ailleurs : Jiro Horikoshi, constructeur des avions « Mitsubishi A6M Zero », rendus célèbres par la Seconde Guerre Mondiale. Un militant forcené du pacifisme qui choisit comme héros de son dernier film un constructeur d’avions de chasse ? La décision a de quoi surprendre et n’a pas manqué d’alimenter la polémique. Au Japon, on a reproché au « Vent se lève » un coté antinationaliste, tandis que le reste de l’Asie y voyait au contraire l’apologie d’une figure guerrière. La vérité semble ailleurs, tant ces positions oublient un peu vite que chez Miyazaki, la dichotomie, le manichéisme et la caricature n’ont pas droit de cité. Ce film, l’un de ses plus complexes, plus qu’une réflexion sur la guerre, est une méditation sur les rêves d’un homme, sur son destin. Jusqu’à quel point peut-on voir sa passion corrompue par la société, par son pays, par l’Histoire ? Miyazaki est bien trop malin pour nous donner une réponse simple. Contrairement aux apparences, il n’idéalise pas son héros, mais le considère malgré tout avec tendresse. C’est ce qu’il a toujours fait, pour tous ses personnages, dans tous ses films. En présentant Jiro Horikoshi comme un rêveur déconnecté, uniquement préoccupé par les avions, Miyazaki nous interroge sur la responsabilité humaine. Son film, ultra-documenté, fait appel à l’intelligence, à l’avis et à la culture de chacun. Tout juste peut-on en détacher ce postulat : les rêves sont beaux, c’est la société qui les transforme en cauchemars. Position idéaliste, certes, mais Miyazaki c’en est-il jamais caché ? Il ne faut pas oublier également que « Le Vent se lève », plus que la plupart de ses films, est très ancrée dans la réalité japonaise. Un minimum de culture orientale semble donc nécessaire pour l’apprécier au mieux.
Reste que si « Le Vent se lève » est à part, on en sort également en se disant : « cette filmographie ne pouvait finir autrement ». Car il y a aussi ici une forme d’apothéose. Au niveau graphique, d’abord, « Le Vent se lève » est clairement une époustouflante apogée. Le trait de Miyazaki, dernier résistant de l’école « à la main », n’a jamais été aussi beau, ce qui n’est pas peu dire. Le dessin s’apparente ici à de la peinture et chaque scène semble un véritable tableau. Pour ce qui est du fond, ensuite : la complexité des personnages, le refus du manichéisme, l’horreur de la bêtise et de la violence, l’attachement entre les êtres et beaucoup d’autres thèmes clairement miyazakiens sont de nouveau présents. On sent aussi dans le « Vent se lève » la parole d’un vieux sage apaisé, définitivement en harmonie avec lui-même et avec le monde. Sa profondeur, sa méditation, son rythme, sa poésie douce donne ainsi au film un ton de fin sublime : un calme nécessaire, pareil à celui des dernières notes d’une symphonie.
A la fois unique et profondément miyazakien, « le Vent se lève » est donc à la hauteur du titre de « dernier film ». Une oeuvre sublime, comme la phrase de Paul Valéry qui lui donne son nom. Cette dernière fait d’ailleurs office de magnifique point final à une telle filmographie : « le vent se lève, il faut tenter de vivre… »
Réalisateur : Hayao Miyazaki.
Scène : La mort de Nahoko, la femme de Jiro, scène d’une immense tristesse.