10° Mange tes morts.
A la sauce tomate.
Plongée furieuse et sanguine dans le quotidien d’une famille de Yéniche, « Mange tes morts » se situe quelque part entre un Kusturica documentaire et un Scorcese gitan. Si on devait comparer les films à de la nourriture, « Mange tes morts » serait une bonne livre de barbaque saupoudré d’une sauce barbecue aussi pimentée que la langue utilisée par les personnages.
Le film a le mérite de présenter la situation des Yéniches, telle qu’elle est, dans toute sa complexité. Il ne verse ni dans la caricature, ni dans l’angélisme et s’apparente à une véritable immersion. Mais attention apparenter « Mange tes morts » à une simple docu-fiction serait une erreur. L’œuvre est avant tout un western en forme d’odyssée rageuse, où la liberté est célébrée comme magnifiquement désespérée et brutale. Ces personnages d’insoumis ressemblent à ceux de Peckinpah. Ils portent leur condition de « mauvais garçon » à la fois comme une malédiction et une bannière. Ni truands romantiques, ni voyous manichéens, ils ne sont ni célébrées, ni accablées par la caméra. Et d’ailleurs, que leur importe ? Leur obsession est simplement d’être libres. Les acteurs, ici, en sont, sans en être. Il y a dans l’énergie, dans la verve des Dorkel quelque chose de théâtral au sens premier, qui paraissait fait pour le cinéma.
A la manette pour filmer tout ce beau monde, on retrouve Jean-Charles Hue, dont un journaliste a dit un jour, à raison, qu’il était une « aubaine sur le plan professionnel et un désastre sur le plan narcissique ». Car, je cite en substance « en comparaison à la sienne, votre vie semble aussi palpitante que celle d’un pot de yaourt ». Le mec, plus burné qu’un taureau de compét’, est quand même allé filmer dans les endroits les plus dangereux du Mexique, avec juste une caméra et quelques slips. Ceci forge déjà un certain respect, mais il s’avère qu’en plus, JC, rejeton improbable de Tony Gatlif et Jean Rouch, sait très bien filmer. L’utilisation de la lumière dans les plans de « Mange tes morts » est là pour en témoigner.
Pour parfaire le tableau, la genèse du film est aussi palpitante que l’histoire elle-même. Pour la résumer : un jour, des Dorkel viennent taper à la porte du tonton de JC Hue. Ce dernier, plus chasse à l’ours que Derrick en charentaise, découvre alors qu’il a des origines yéniches ! Passionné par cette histoire, son neveu réalisateur part à la recherche de cette nouvelle famille et rencontre les Dorkel. Entre voitures, barbecues, religion et alcools, il partage leur quotidien, quitte à même se prendre une bastos dans une soirée trop arrosée ! Et puis un jour, il sort sa caméra… Vous pouvez imaginer les anecdotes de tournage.
Explosif, complexe, se voulant au plus près du réel, « Mange tes morts » est en conclusion un film à part, qui détonne dans le paysage cinématographique actuel. Et pour le mieux !
Réalisateur : Jean-Charles Hue.
Scène : La scène où le héros du film part dans un grand discours contre les flics qui le pourchassent, la nuque droite, ses yeux bleus brillant dans la nuit…